Søren Kierkegaard : Philosophe de l’angoisse, de la foi… et de l’existence
"Le plus grand danger n’est pas de perdre sa vie, mais de perdre sa raison de vivre sans s’en rendre compte." – Søren Kierkegaard, La maladie à la mort (1849)
Qui est Kierkegaard ? Un philosophe à contre-courant
Søren Kierkegaard (1813-1855), philosophe danois du XIXe siècle, ne ressemble à aucun autre penseur de son époque. Tandis que les grands noms comme Hegel construisent des systèmes rationnels censés tout expliquer, lui choisit la voie du paradoxe, du vertige, de l’expérience vécue.
Issu d’une famille profondément religieuse, Kierkegaard vit une existence solitaire, marquée par la rupture de ses fiançailles avec Regine Olsen — un événement central qui influencera son rapport à l’amour, à la foi, et à l'engagement. Il écrit souvent sous pseudonymes, non par jeu d’ego, mais pour exprimer les multiples visages du sujet humain.
Le refus des systèmes : une philosophie anti-hégélienne
Kierkegaard refuse radicalement l’idée que la philosophie puisse être un système clos. Il critique frontalement Hegel, pour qui l’histoire de l’humanité se développe rationnellement selon une logique dialectique. Pour Kierkegaard, l’existence individuelle ne se réduit jamais à une généralité abstraite.
“Le système est achevé… mais moi, je suis un être en devenir.” – Søren Kierkegaard, Post-scriptum aux miettes philosophiques (1846)
Là où Hegel cherche une vérité universelle, Kierkegaard revendique une vérité subjective, incarnée, personnelle. Il n’y a pas de concept de “l’homme” en général. Il n’y a que des existences concrètes : moi, toi, ici et maintenant.
La vérité est subjectivité
Cette formule célèbre de Kierkegaard peut dérouter. Elle ne signifie pas que "tout se vaut", mais que la vérité ne prend son sens qu’à travers l’engagement du sujet. C’est une vérité existentielle, pas simplement logique ou démontrable.
Par exemple, croire en Dieu n’est pas une conclusion rationnelle, mais un acte de foi, un choix existentiel. C’est pourquoi Kierkegaard est considéré comme le père de l’existentialisme, qu’il soit chrétien (Gabriel Marcel) ou athée (Jean-Paul Sartre).
“La vérité est la subjectivité.” – Søren Kierkegaard, Post-scriptum aux miettes philosophiques (1846)
L’angoisse : le vertige de la liberté
Dans Le concept d’angoisse (1844), Kierkegaard introduit l’un de ses concepts majeurs. Il distingue la peur, qui a un objet (j’ai peur d’un chien, de l’examen...), de l’angoisse, qui est sans objet défini.
“L’angoisse est le vertige de la liberté.” – Søren Kierkegaard, Le concept d’angoisse (1844)
Imagine un enfant debout au bord d’un précipice. Il n’a pas envie de sauter. Mais il pourrait le faire. Cette possibilité du possible, cette liberté absolue face à l’inconnu, c’est l’angoisse.
L’homme est angoissé parce qu’il est libre, et parce qu’il porte la responsabilité de ses choix. L’angoisse n’est donc pas un défaut, mais le prix à payer pour être un être spirituel.
La foi : un saut dans l’absurde
Dans Crainte et tremblement, Kierkegaard explore l’histoire d’Abraham, prêt à sacrifier son fils Isaac sur ordre de Dieu. Il incarne ce que Kierkegaard appelle le "chevalier de la foi" : celui qui accepte l’incompréhensible, le paradoxe, sans tenter de le rationaliser.
La foi véritable, selon lui, ne repose ni sur des preuves, ni sur une morale raisonnable. Elle suppose un saut dans l’absurde, un engagement total au-delà du compréhensible.
“La foi commence précisément là où la pensée s’arrête.” – Søren Kierkegaard, Crainte et tremblement (1843)
Ce saut, ce risque, rend la foi authentique. Il ne s’agit pas de croire “en général”, mais de faire confiance malgré l’incertitude.
Kierkegaard et Nietzsche : deux voix solitaires
Kierkegaard et Nietzsche ne se sont jamais rencontrés, et ne se lisent probablement pas. Mais leurs pensées dialoguent à travers le temps.
Tous deux refusent les systèmes.
Tous deux s’adressent à l’individu, pas à l’humanité abstraite.
Tous deux voient la philosophie comme une expérience existentielle.
Mais là où Kierkegaard croit au paradoxe de la foi, Nietzsche proclame la mort de Dieu. Kierkegaard cherche la vérité avec Dieu, Nietzsche cherche une vérité malgré Dieu.
Pourquoi Kierkegaard nous parle encore aujourd’hui
Dans une époque marquée par l’incertitude, la solitude existentielle et la quête de sens, Kierkegaard résonne avec une étonnante justesse.
Il parle de l’angoisse du choix.
De la peur de se tromper de vie.
Du besoin de croire sans être sûr.
Et surtout, de l’urgence d’être soi-même.
“Le désespoir, c’est de ne pas vouloir être soi.” – Søren Kierkegaard, La maladie à la mort (1849)
Dans un monde saturé de normes sociales, de discours préfabriqués, de logiques de performance, Kierkegaard rappelle que l’essentiel est intérieur, intime, fragile… mais inaliénable.
📌 Pour aller plus loin
Le concept d’angoisse (1844)
Crainte et tremblement (1843)
Le journal du séducteur (1843)
Ou bien… ou bien (1843)
La maladie à la mort (1849)
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